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Textes


Ma peinture n’est pas un spectacle.


Pas un cri.
Un souffle, un battement de cœur, un murmure.
Elle ne va pas vite, elle est presque immobile.
Elle ne cherche pas à séduire, elle est sensuelle.
Elle est raisonnement subjectif et éthérique. Elle ne dit mot, elle touche l’impalpable.
Elle est belle et imparfaite.
Elle est pensée sensible, elle est matière mentale.
Elle est riche de paradoxe, elle est minimum.
Elle ne donne pas à voir, elle écoute le mystère silencieusement.
Elle encapsule le temps, elle est morte et vivante à la fois.

05/2012

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Quand je ne peins pas, je m’intéresse au symbolisme, à la mythologie, à ce qui est invisible, aux sensations face à la nature, aux êtres vivants et à l’origine de l’Homme.

Quand je peins, je travaille essentiellement à l’acrylique.
La plupart du temps, je pars d’une impulsion, d’une envie. Le format du châssis et  la texture de la toile sont des points à partir desquelles je peux travailler.

Parfois, la réalisation d’une idée peut ne pas fonctionner. Je laisse alors le tableau pour travailler sur un autre. Quand je reprends le premier tableau, j’oublie l’idée de départ et je me permets de jouer avec ce qui est déjà peint. Cela me donne l’impression que ce sont des éléments matériels qui me guident dans mes actions.

Il y a un aspect contemplatif dans mon travail. Le silence, le fait de penser et réfléchir sans mots est important dans ma démarche.

Les paradoxes propres au tableau sont également un moteur pour moi. Les projections mentales sur un support matériel, les sensations d’espace dans un cadre fermé, la perspective et le plan, le solide et le diffus se contrebalancent, s’épousent.

Les signes présentés dans mes tableaux ne sont ni abstraits, ni figuratifs. Ils s’étirent entre ces deux propositions picturales.

Quelques références :

Odilon Redon, Yves Klein, Agnes Martin, Mark Rothko, Philip Guston, Joseph Beuys.


05/2010

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Les formes de l'esprit

L’Art de Céline Faure


Thierry de Duve proposait en 2000, dans son essai ‘Voici’, une définition originale de l’œuvre d’art : « Par nature les choses ne parlent pas ; nous ne nous adressons pas à elles ; nous parlons d’elles. Elles ne nous sont données en règle générale ni à la première ni à la deuxième personne, mais à la troisième. Pour qu’une chose soit une œuvre d’art, il faut qu’elle s’échappe de la troisième personne et qu’elle accède à la première. » Autrement dit, l’objet doit devenir sujet : si le ça devient je, l’œuvre pourra s’imposer au spectateur et la contemplation se changer en questionnement. Or, prendre vie c’est avant tout « prendre forme ». Une toile vierge, un pinceau, de la peinture… et les images naissent. L’artiste n’est alors plus qu’un intermédiaire, sa main un catalyseur : les formes, en réalité, assurent elles-mêmes leur accouchement et orchestrent leur croissance, leur agencement, leur équilibre. Depuis plus de dix ans, Céline Faure fait apparaître sur ses toiles des formes dissociées de tout système de symboles préétabli, comme issues d’une héraldique nouvelle et subjective dont le sens resterait à imaginer. Ses images, comme elle le dit elle-même, « résultent d’une impulsion, d’une envie, d’une action guidée par des éléments matériels comme le format de la toile, sa texture, les couleurs qui sont à [sa] disposition… » Aucun plan, aucun calcul, les images « prennent » forme activement, comme on « prend » une décision, une direction, pour devenir ce que Gerhard Richter a appelé, en parlant de ses propres œuvres, « une réalité qui se trouve en face de moi, qui s’oppose à moi, qui est quelque chose d’incompréhensible et d’autonome ».

Ainsi livrées à elles-mêmes, de toile en toile, les images font l’expérience de leur propre état – forcément bidimensionnel – sans jamais trancher entre abstraction et figuration. « Les signes que je peins trouvent leur voie entre ces deux propositions » affirme Céline Faure, comme si la question du choix ne s’était jamais posée. Lorsque la référence au réel est au centre de l’œuvre, comme dans ‘Riots etc’ ou ‘les Baiseurs’, le dessin se fait chaotique, fiévreux, confus jusqu’à la frontière de la représentation. Lorsqu’elle est absente, au contraire, comme dans ‘Feber’ ou ‘Yet’, il nous semble distinguer des éléments organiques ou minéraux, méconnaissables et pourtant échappés de notre réalité. Si ces images sont toujours « entre ces deux propositions », entre figuration et abstraction, c’est parce qu’elles n’ont d’autre sens que leur seule existence, leur état, leur aspect, leur taille et leurs couleurs. Elles évoquent, suggèrent, provoquent ou interrogent, mais ne cherchent pas à signifier. Exemptées de ce devoir de sens, elles peuvent se chercher, explorer les possibilités que leur offre leur nature picturale. Plan ou perspective ? Opacité ou transparence ? Précision ou indétermination ? Chaque toile devient un champ d’expérience où les formes se posent, s’imposent ou se superposent, certaines hésitant entre différents états, d’autres assumant le leur avec radicalité. Ici un triangle rouge renonce à sa géométrie pour se dissoudre dans un halo gazeux. Là une simple ligne se brise pour tenter de s’inscrire dans une troisième dimension. Ailleurs deux plans bleus se croisent et s’interpénètrent comme des plaques de verre sans consistance. Plus loin une tâche noire se répand sur une grille de carreaux rouges, confrontant l’accidentel au systématique. Et alors qu’une arche carrée qui semble solide et lourde flotte sur un fond rose impalpable, une ombre projetée sur un sol quadrillé en perspective échappe étrangement à l’attrait du point de fuite. Les formes, en fait, ne sont jamais prédéfinies, et ne répondent pas aux lois physiques auxquelles nous sommes habitués. Riches de leurs paradoxes, fortes des tensions qui les habitent, elles n’en font pour ainsi dire qu’à leur tête. C’est peut-être là la plus grande jouissance que procure le travail de Céline Faure : la rencontre de formes en totale liberté, qui hésitent sur leur nature comme nous nous interrogeons sur notre propre identité.

Au-delà de leur caractère éminemment fantasque – pour ne pas dire fantastique – les images créées par Céline Faure jouent sur un registre crucial : celui de l’être et de l’instant, de la présence ou de l’absence. Certes en posant la question « que suis-je ? », les formes affirment leur existence. Mais « existence » n’implique pas forcément « présence » : certaines apparaissent au contraire comme d’implacables témoignages d’absence. Ainsi l’œuvre in situ ‘Heavenly grey’, où l’artiste a peint les murs de l’angle d’une pièce en laissant vierge sa propre silhouette, comme piégée dans un coin : cette forme blanche n’est que la marque de sa situation passée, et la plus saisissante manifestation de son absence actuelle. Ou encore cette immense empreinte digitale, qui évoque sans détour ces traces que nous laissons sur chaque objet que nous saisissons, comme preuve a posteriori d’un geste déjà accompli. Là encore un reliquat, un souvenir, rien de plus. A l’instar de ces deux œuvres, tout le travail de Céline Faure porte en filigrane cette réflexion sur ce qui est présent et ce qui ne l’est pas, ce qui l’a été mais qui ne l’est plus. Les formes évanescentes, translucides, impalpables, ne pourraient-elles pas être, elles aussi, des fantômes évanouis, presque déjà oubliés ? Celles qui, au contraire, nous apparaissent avec clarté et précision, ne suggèrent-elles pas par leur hermétisme et par l’impossibilité des figures qu’elles dessinent qu’une partie d’elles-mêmes nous échappe ? Il manque toujours quelque chose, un élément disparu ou pas encore visible : c’est cette absence que Céline Faure nous fait éprouver dans chacune de ses œuvres. Car pour reprendre une formule de Bergson, la sensation de l’absence n’est pas l’absence de sensation. Elle est, au contraire, la plus vive et la plus universelle des impressions, porteuse de nostalgie, de réflexion ou de méditation… car elle appelle une quête. Chercher ce qui n’est pas là, traquer l’invisible, en quelque sorte, déployer toute la force de l’imagination ou fouiller pourquoi pas dans des souvenirs perdus. C’est peut-être en ce sens qu’il faut comprendre l’œuvre ‘Mémoire’, la plus proche de la sculpture puisqu’elle s’élève du sol dans l’espace : superposition verticale de toiles en partie dissimulées, elle rappelle que nous n’avons pas accès à tous les secrets de notre psychisme.

Le travail de Céline Faure serait donc, par l’intermédiaire de ces formes sans ancrages dans notre réalité physique, une invitation à sonder le spirituel. La méditation est d’ailleurs une posture à laquelle l’artiste aspire, lorsqu’elle travaille. C’est dans le silence que ses œuvres naissent, confie-t-elle, au fil d’une « pensée sans mots », comme si le verbe, trop étroitement lié à la question du sens, était étranger à cette genèse. Certes l’héritage surréaliste de l’écriture automatique n’est pas loin, tout comme celui des visions énigmatiques d’Odilon Redon, des couleurs hypnotiques de Mark Rothko ou de l’extravagance démiurgique d’Yves Klein. Les références pourraient être nombreuses. Mais ces œuvres se passent de généalogie : c’est l’écho qu’elles trouvent dans l’esprit de chacun de nous qui les rend légitimes. « Si la forme, rappelait Henri Focillon dans sa ‘Vie des formes’ en 1943, est stricte définition de l’espace, elle est aussi suggestion d’autres formes. Elle se continue, elle se propage dans l’imaginaire, ou plutôt nous la considérons comme une sorte de fissure par laquelle nous pouvons faire entrer dans un règne incertain (…) une foule d’images qui aspirent à naître. » L’artiste, continue-t-il, « développe sous nos yeux la technique même de l’esprit. Il nous en donne une sorte de moulage que nous pouvons voir et toucher. » Céline Faure ne fait pas autre chose. Ses œuvres nous font pénétrer – qu’elle le veuille ou non – dans un monde cohérent mais différent du notre, où la physique a laissé la place à la spiritualité. Leur existence « en face de nous, s’opposant à nous », leur présence matérielle (celle de la peinture sur la toile) et le sentiment d’absence qu’elles induisent, nous questionnent et nous plongent dans un état de perplexité salutaire. Que sont-elles ? Que sommes-nous ? Quel échange est possible entre nous et cette « chose » qu’on appelle œuvre d’art ? La réponse, évidemment, appartient à chacun.

Grégoire Jeanmonod